20/04/2013
La Vie de château - 1
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Georgette Leblanc, l'Arielle Dombasle de Maeterlinck
Lu sur http://www.livreshebdo.fr/weblog/a-l-ecrevisse-21/190.aspx
Où l'on ne parle pas de critiques littéraires
Le plagiat Georgette
Georgette Leblanc était, en quelque sorte, l’Arielle Dombasle de Maurice Maeterlinck. Elle était aussi la sœur de Maurice Leblanc, le créateur d’Arsène Lupin.
Mezzo-soprano contestée – « elle a l’aphonie des grandeurs », disait Jean Lorrain – Georgette en imposait par son tempérament de comédienne. Lorsqu’elle chanta Carmen en 1898, la jeune femme terrassa les apoplectiques. Elle avait 29 ans, affirmait en avoir 23. Un critique clama qu’elle avait « mis à rude épreuve la libido des machinistes et des pompiers ». La critique était déjà, vers 1900, l’honneur du journalisme français.
Georgette fêtait ses 19 ans (les vrais, elle n’avait pas encore d’âge officiel), lorsqu’elle lut des textes de Maeterlinck déjà connu pour son théâtre, notamment Pelléas et Mélisande(1892) dont Debussy fit plus tard l’opéra que l’on sait (1902). Maeterlinck avait alors (1894), 32 ans. Lectrice ardente, Georgette déclara : « C’est le seul homme que je puisse aimer ». Et hop ! elle part à Bruxelles, se fait engager pour deux ans au Théâtre de la Monnaie : inévitablement l’écrivain l’y verra. Inévitablement, elle le rencontrera.
Six mois après son arrivée en Belgique, c’est fait : un avocat invite Georgette à dîner. Dîner auquel participe Maeterlinck. Ni une ni deux : « Ah, cher maître, comme j’aimerais connaître Gand ! ». Et hop, et hop ! Voilà Maurice qui répond : « J’allais vous proposer la visite ». Embrassons-nous, Folleville. Georgette et Maurice vivront passionnément jusqu’à leur rupture en 1919.
L’affaire Barbe Bleue
Cette union résolument libre, développa chez Maeterlinck un art du « plagiat psychique » tout à fait passionnant. C’est là que je voulais en venir, sortant d’une représentation d’Ariane et Barbe Bleue à l’Opéra-Bastille – dont le texte est de Maurice Maeterlinck et la musique (remarquable) de Paul Dukas qui n’est pas seulement l’auteur de L’Apprenti sorcier. Lequel Apprenti sorcier ne fut pas composé pour Walt Disney, on ne le dira jamais assez. Mais là n’est pas la question. Il faut surtout savoir que Georgette Leblanc chanta le rôle d’Ariane à la création en 1907.
Et revenons au « plagiat psychique ». C’est un beau cas.
Georgette n’est pas de tout repos. Elle en impose à Maurice qui, rapidement, tisse autour d’elle sa toile. Il l’aime, il la craint. Il détourne cette crainte à son profit en transformant la jeune femme en personnage de ses œuvres dont elle n’est pas à proprement parler l’inspiratrice mais plutôt la « maîtresse », au sens fort du mot. De manière ambiguë, l’écrivain se soumet à celle qu’il aime, mais l’utilise : devenue personnage, elle dépend cette fois du bon vouloir de l’auteur Maeterlinck. Celui-ci lui confère des rôles gratifiants – mais l’utilise tout de même, allant jusqu’à lui emprunter de nombreuses répliques.
« Nous ne nous connaissons pas encore, car nous n’avons pas osé nous taire ensemble », écrivit Georgette. Jolie phrase que Maeterlinck reprit telle quelle dans Le Trésor des humbles (1896). De même entend-on Georgette lorsque la nouvelle épouse de Barbe Bleue, Ariane, entre dans l’inquiétant château et déclare sans complexe : «Il m’aime, je suis belle et j’aurai son secret ». Et hop, et toc. Tu vas voir à qui tu as affaire, mon gaillard. Elle enchaîne aussitôt par une sentence superbe : « D’abord, il faut désobéir, c’est le premier devoir quand l’ordre est menaçant, et ne s’explique pas ». Voilà qui passionna certains viennois lorsque le « conte » d’Ariane fut traduit dès 1899.
Comme Pelléas, Ariane fut une pièce, en effet, avant d’être un opéra : une « légende », une « féerie » écrite pour Georgette. On y voit la nouvelle épouse de Barbe Bleue se rendre au château du Tueur de Femmes pour libérer les épouses captives. Elle ouvre sans hésiter toutes les portes, y compris la porte interdite (qu’elle ouvre plutôt deux fois qu’une). Cette Ariane en avait déjà vu d’autres avec le Minotaure et Thésée.
En face d’elle, Barbe Bleue – seigneur des femmes, détenteur de la magie – se trouve réduit à pas grand-chose. Il finit ligoté, aux pieds d’Ariane et des femmes rescapées. Ariane, prise de pitié, tranche les liens : que l’Ogre, bien mal en point, reste dans son château désenchanté. Elle, elle part. A sa surprise, toutefois, les épouses libérées n’ont aucune envie de la suivre et restent aux petits soins de leur Barbe Bleue devenu papy gâteau, à l’instar de Maurice face à Georgette. Ariane poursuit donc son chemin, avec une ultime réplique toute georgettienne : « Je m’en vais loin d’ici, là-bas, où l’on m’attend encore… » .
Relire Maeterlinck
Maeterlinck, en fait, n’aimait pas la musique. Il jugeait les musiciens plus ou moins détraqués. Debussy lui-même constatait : « Maeterlinck va dans une symphonie de Beethoven comme un aveugle dans un musée ». Il écrivit des livrets d’opéra comme certains romanciers aujourd’hui s’exténuent à faire des scénarios de films – parce que l’opéra rapportait plus que le théâtre… Et parce qu’il fallait trouver des rôles pour l’impétueuse Georgette, cordialement détestée par tous les directeurs de salles.
Aussi Paul Dukas eut-il la prudence de promettre le rôle d’Ariane à Georgette Leblanc. C’était le meilleur moyen d’obtenir l’accord de Maeterlinck qui songeait confier le livret d’Ariane à d’autres compositeurs français ou étrangers. Celui qui voudrait de Georgette l’emporterait. Et là, tout le monde se mettait à réfléchir.
Ariane est d’abord une magnifique partition. Elle témoigne aussi d’un « complexe » psychique – le plagiat Georgette – toujours intriguant cent ans après sa création. Et l’écriture de Maeterlinck reste très intéressante à étudier, notamment dans sa recherche de simplicité précieuse.
Un coup d’œil sur electre.com montrera que le Prix Nobel 1911 est assez mal servi dans l’édition, à l’exception de trois bons volumes d’Œuvres (Complexe, 1999), comprenant notamment le théâtre. Mais plusieurs textes de qualité restent inaccessibles ou difficilement accessibles. A noter, toutefois, que la préface de Maeterlinck à La Confiance en soi d’Emerson est disponible en Rivages Poche (2000). C’est en lisant ce texte que Georgette décida de partir à l’assaut du poète… Le titre l’y invitait.
Les Souvenirs de Georgette Leblanc (Grasset 1931) se trouvent aisément sur le marché d’occasion. Quant au compositeur d’Ariane et Barbe Bleue, à la genèse de l’œuvre et bien d’autres choses encore sur la vie artistique et musicale, beaucoup de choses figurent dans l’excellent Paul Dukas de Simon-Pierre Perret et Marie-Laure Ragot tout juste paru chez Fayard (560 p. 30 €).
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